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Burnout : comprendre une souffrance contemporaine aux causes multiples

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    francoisregisribes
  • 8 oct.
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 24 oct.

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N’est-ce qu’un surmenage passager ? Suis-je légitime à me mettre en arrêt ? Que vaut cette notion de burnout ? Terme à la mode sans pertinence ou témoin d’un modèle sociétal défaillant ? Quelque soit votre situation, prendre le temps de penser cette notion vous sera utile à plus d’un titre : une meilleure compréhension du monde qui vous entoure,  un rapport plus sain à votre profession, un effort de conscience sur la posture que l’on choisit d’adopter face à la culture et à l’organisation contemporaines du travail.




I. Qu’est-ce que le burnout : définitions et réalités. 


Une définition rigoureuse et scientifique :  les 3 symptômes majeurs


Afin de partir sur des bases solides, voici la définition académique complète et condensée du burnout ou syndrome d’épuisement professionnel : 


Syndrome résultant d’un stress chronique issu d'un déséquilibre entre les sollicitations de l’environnement professionnel et les ressources internes/externes à disposition. Ce syndrome se manifeste par trois symptômes caractéristiques :


Un épuisement physique, émotionnel et cognitif.

Une attitude de cynisme ou de détachement vis-à-vis d’autrui.

Une perte de l’estime de soi liée au sentiment d’inefficacité et de non-accomplissement professionnel


Le premier élément à souligner est le stress chronique, dont on connaît aujourd’hui les répercussions importantes sur l’organisme : activation prolongée du système de stress, sécrétion continue de cortisol, troubles immunitaires, homronaux, du sommeil ou de la concentration…

Dans le cadre du burnout, ce stress est entretenu par un déséquilibre entre les sollicitations professionnelles et les ressources personnelles. Autrement dit, il s’agit d’un ensemble d’agressions répétées parfois discrètes et inconscientes propre à l’inadéquation entre les caractéristiques de son milieu professionnel et ses caractéristiques personnelles. 

Viennent alors 3 symptômes caractéristiques mentionnés plus haut, qui permettent d’identifier l’installation de ce déséquilibre si subtil qu’il passe parfois sous les radars de la conscience : 


  • L’épuisement se manifeste d’abord : blessures mineures et douleurs physiques articulaires, dorsales, ORL, inflammations fréquentes, moindre entrain  (épuisement physique) ; pleurs inexpliqués, impulsivité, impatience ou irritabilité qui rompt avec notre attitude habituelle (épuisement émotionnel) ; difficultés de concentration, de prise de décision, étourderies ou trous de mémoire inhabituels (épuisement cognitif). 

  • Le cynisme apparaît ensuite : humour noir, détachement émotionnel, manque d’empathie, froideur affective — autant de mécanismes de défense face à l’usure émotionnelle.

  • Enfin, la diminution de l’estime de soi marque souvent la phase finale : sentiment d’inefficacité, perte de confiance, voire effondrement narcissique lorsque toute tentative de compensation s’épuise.


La réalité du burnout au cabinet : les 4 stades de l’épuisement


En pratique, il n’est pas toujours évident de détecter un burnout car les patients qui consultent n’en sont pas toujours au même stade de gravité :


Stade 1 — L’alerte silencieuse

De simples préoccupations liées au travail et une fatigue passagère apparaissent, mais un repos suffit à rétablir l’équilibre. La personne reste flexible, conserve une bonne régulation émotionnelle et sait encore décrocher mentalement de son activité.


Stade 2 — La tension s’installe

Les préoccupations deviennent récurrentes et envahissantes. Le repos ne suffit plus, le sommeil se dégrade, les émotions échappent au contrôle habituel. L’humour s’émousse, les relations se tendent, la charge mentale s’installe.


Stade 3 — Le basculement

L’épuisement, le cynisme et la perte d’estime de soi sont clairement installés. Les oublis, l’irritabilité, les anxiétés répétées s’ajoutent aux dérégulations physiques : appétit, sommeil, douleurs, petites addictions. L’équilibre psychique et corporel se délite.

Stade 4 — L’effondrement

Lorsque tous les signaux ont été ignorés, survient la chute brutale. Fatigue extrême, troubles physiques majeurs, perte d’élan vital. L’organisme, épuisé, impose l’arrêt. Le rétablissement se compte alors en mois.


L’objectif est bien sûr d’éviter le stade 4 à tout prix dont nous avons tous fait l'expérience par le témoignage d’une personne plus ou moins proche de notre entourage. A ce stade extrême, l’origine professionnelle du mal ne fait plus de doute. Or, c’est bien souvent au niveau des stades 2 ou 3 que mes patients se présentent, et dans ces cas-là, les problèmes professionnels sont rarement évoqués au premier plan. “Je dors mal”, “je ne gère plus mes émotions”, “Je grignote sans arrêt”... Leurs émotions, leur vie passée, leurs croyances limitantes… Tout y passe avant que s’intercale une remarque anecdotique sur leur travail : “Et en plus de tout ça, le boulot c’est compliqué en ce moment”. 


Burnout : diagnostic utile ou mot-valise ?


Maintenant que le concept est éclairci, questionnons-nous sur sa valeur. Deux critiques sont à considérer : 


  1. Le burnout n’existe pas. C’est une étiquette tendance, utilisée par facilité pour éviter d’explorer les causes profondes et complexes d’une détresse psychologique

  2. Le burnout existe bel et bien, mais si le terme ne fait son apparition qu’aujourd’hui, c’est qu’il est un mal de notre époque, le produit d’une organisation contemporaine du travail pathogène. En faire un trouble psychologique isolé réduit un enjeu de société à des vulnérabilités individuelles et passe à côté de la cause de fond. 


Ces deux critiques sont en partie vraies.

 

Un burnout peut parfois n’être que la surface visible d’une souffrance plus profonde : perte de sens, état dépressif latent, traumatisme ancien ou schéma de personnalité dysfonctionnel. Cependant, tenter de résoudre ces vulnérabilités sans tenir compte du contexte d’épuisement peut s’avérer improductif. “Je sais tout ça, je sais faire habituellement mais j’ai l’impression de ne plus avoir l’énergie mentale pour changer ma manière de voir les choses”, me dit une patiente avec qui je tentais de travailler les pensées dépressives sans tenir compte du manque de ressources psychologiques que provoque le stress chronique. 

C’est précisément là que le concept de burnout a toute sa pertinence : il permet de penser ensemble l’épuisement du corps et du psychisme, l’articulation entre vulnérabilités personnelles et environnement professionnel pathogène. Le travail occupant une place centrale dans la vie des individus, il peut devenir la cause principale d’une souffrance et doit faire l’objet d’un traitement spécifique.

Pour ce qui est de la seconde critique, la culture a également sa place dans la compréhension du phénomène — mais elle doit être croisée avec deux autres dimensions essentielles : l’environnement professionnel et les caractéristiques personnelles.


II. Les causes du burnout : entre société, travail et histoire personnelle


La culture : organisation capitaliste & éthique protestante


La culture et l’organisation contemporaine du travail impose un mouvement contradictoire :

Le capitalisme impose  un impératif de productivité conduisant à une segmentation extrême des tâches comme le veut la logique tayloriste. Aussi, trouve-t-on des ingénieurs spécialisés dans la calibration des capteurs des machines de conditionnement des emballages de chips Lay’s… 

De cet impératif de performance, découle également le suivi obsessionnel de la productivité par des indicateurs chiffrés jusqu’à envahir les métiers du soin :  les professionnels de santé sont amputés de la moitié de leur temps auprès de leurs patients pour rédiger le rapport de ce qu’ils viennent de faire avec eux.  En un mot commençant : perte de sens.

Mais voilà que le mouvement inverse s’impose. Les travaux de Max Weber rappellent que l'essor du capitalisme est intimement lié à l'éthique protestante, laquelle charge le travail d’une valeur existentielle et lui donne le nom de vocation. Performance, prospérité et réussite professionnelle sont les signes visibles du salut divin. Nous héritons ainsi d’une culture où le travail atteste de notre valeur, de notre place dans le monde, de notre dignité…

C’est là que la contradiction opère : La culture capitaliste enjoint à chercher le sens d’une vie dans le travail, l’organisation capitaliste s’affaire à le rendre toujours plus insensé. 


L’environnement professionnel : les tâches & les relations 


Une discrète inadéquation quotidienne entre l’environnement professionnel et les caractéristiques personnelles suffit à entamer un stress chronique. Deux dimensions sont en causes :


La réalisation des tâches : lorsqu’elles ne sont pas alignées avec nos compétences, mal définies, ou dépourvues des outils et du soutien nécessaires ; lorsque nous manquons de clarté, d’autonomie ou de contrôle sur ce que nous faisons — le sentiment d’efficacité s’effrite et laisse place à la tension.


Les relations : un management inadéquat (excès de directives ou de laisser-faire, ambivalence entre amicalité et autorité), une mauvaise répartition des rôles (manque de clarté dans la distribution des responsabilités, chevauchement entre le rôle des uns et des autres, débordement des responsabilités par rapport au poste), une circulation défaillante des informations, un turnover excessif, des non-dits… autant de micro-dysfonctionnements qui épuisent lentement le tissu psychologique des équipes.


Ces déséquilibres, souvent discrets, ne ressemblent pas à ce que l’on imagine d’un burnout — pas de harcèlement manifeste, pas de surcharge spectaculaire. Il est pourtant impératif de prendre le recul nécessaire pour les identifier car ce sont eux qui installent insidieusement le stress chronique, surtout lorsqu’ils résonnent avec certaines vulnérabilités personnelles.


Les caractéristiques personnelles : trauma & personnalité


Les facteurs personnels ne causent pas le burnout, mais ils en accentuent la vulnérabilité. Deux dimensions principales entrent souvent en jeu : 


Le traumatisme : une expérience passée qui a dépassé les capacités d’adaptation psychique marquent l'organisme. Un ton autoritaire, un regard désapprobateur ou une évaluation peuvent raviver inconsciemment la même émotion de peur ou d’humiliation. Une de mes patientes fond en larme au cours d’un jeu de rôle dans lequel j’incarne son supérieur face à qui elle doit s’affirmer. “Il suffit qu’une personne d’autorité hausse le ton pour que je redevienne une petite fille”, me dit-elle avant de prendre conscience du lien entre sa réaction présente et ses maltraitances infantiles. Le stress est une réaction corporelle avant même d’être consciente, transformant le lieu de travail en déclencheur de résonances anciennes. Le corps s’épuise à se défendre d’un danger qui n’existe plus, mais qu’il revit chaque jour.


Les traits de personnalité : Certaines structures psychiques rendent la confrontation au monde professionnel plus coûteuse :


  • La personnalité narcissique : Cherche la validation et l’admiration de l’autre. Dans un environnement professionnel flou ou peu gratifiant, la personne peut vivre chaque critique ou absence de reconnaissance comme une blessure profonde. Le manque de feedback positif devient source d’un stress constant.

  •  La personnalité évitante : Redoute le jugement et la désapprobation. Elle supporte difficilement les environnements hiérarchiques où les conflits ou évaluations sont inévitables. Cette fuite du désaccord engendre une accumulation de tensions internes et un sentiment d’impuissance.

  • La personnalité obsessionnelle-compulsive : Recherche la maîtrise, la perfection et la conformité. Face à la surcharge, à l’imprévisibilité des tâches ou à la désorganisation du management, elle s’épuise à vouloir compenser le chaos par un contrôle accru. L’exigence devient autodestructrice.

  • La personnalité dépendante : Redoute l’abandon et cherche la protection de figures d’autorité. Un management autoritaire ou ambivalent (tour à tour amical et distant) réactive chez elle l’angoisse d’être rejetée. La peur de déplaire ou de ne pas être “assez” alimente une fatigue émotionnelle continue.


Ces caractéristiques ne suffisent pas à provoquer un burnout, mais elles expliquent pourquoi certains environnements deviennent pathogènes pour certains individus. 


Conclusion : le burnout, un carrefour entre soi et le monde


Un épuisement professionnel impose toujours un temps d’arrêt. Parce qu’il articule à la fois la culture, l’environnement de travail et la structure psychologique intime, il n’est pas qu’un effondrement mais un carrefour de vie. Il invite à s’interroger sur la manière dont nos valeurs, nos attentes et notre histoire personnelle s’accordent ou se heurtent au monde dans lequel nous évoluons.

Le burnout pousse ainsi à revisiter nos repères : ce que nous acceptons, ce que nous voulons préserver, ce à quoi nous ne voulons plus consentir. Plutôt qu’un simple trouble à guérir, il peut devenir une occasion d’introspection pour comprendre ses modes de fonctionnement, redéfinir la place que l’on souhaite occuper dans un système donné, et tenter de réconcilier, autant que possible, le monde tel qu’il va et la personne que nous sommes.



Si vous souhaitez un contenu plus immersif accompagné d’exemples concrets issus de ma pratique, cet article est accompagné d’un podcast accessible ici :

 
 
 

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